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Libre d'écrire!

18 août 2017

Les yeux bleus

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    Aujourd'hui, j'étais plutôt impatiente, je sortai enfin du bruit et de l'agitation continue de Paris, auxquels je n'avais jamais pu m'accoutumer. Moi qui étais coincée par mon emploi de vendeuse dans un grand magasin à Paris, depuis plus d'un an. Je prenais, enfin, le train pour retourner à Carnac. J'étais tellement euphorique, que je ne me rendis même pas compte que j'étais venue avec presque deux heures d'avance. Ce ne fut que lorsque je regardai l'heure que je me rendis compte de ce laps de temps, bien trop long à mon goût. Et alors, mon euphorie fit place à une impatience, une impatience grandissante. Et, dans le brouhaha et les bruits de voix des voyageurs empressés, je me mis à regarder autour de moi, tel un vautour, cherchant un moyen de tuer le temps ; je n'allais tout de même pas rentrer chez moi maintenant!

  Soudain, mon regard impatient glissa vers une petite pâtisserie débordante de gâteaux. La veille, j'avais reçu mon salaire du mois, et, la perspective d'attendre si longtemps mon train, me fit trouver très intelligente, l'idée de le dépenser dans de petites gourmandises. Je me dirigeai donc vers la charmante boutique. Je ne comprenais pas pourquoi je ne l'avais pas vue avant, elle était d'un bleu profond, sans être tape à l’œil, et dégageait une odeur de gâteaux chauds qui faisait saliver. Lorsque je fus entrée, dans le tintement joyeux d'une clochette, je vis que l'intérieur était aussi joli que l'extérieur, d'un blanc crème qui s'accordait parfaitement avec le bleu que j'avais vu précédemment. Je ne sus où donner de la tête, salivant d'envie devant chaque gâteau, et il y en avait, et de toutes les sortes, plus raffinés et variés les uns que les autres. Les odeurs enivrantes de chocolat, de fraise, de café, de caramel ou encore de pomme se confondaient pour ne plus faire qu'une ; l'odeur de la gourmandise et du bonheur sans fin.

   Une femme était là, souriante. En la voyant, j’eus, malgré moi, envie de sourire, il n'y avait que de la joie ici, et je comprenais pourquoi. Je regardai un à un les gâteaux, effleurant délicatement la vitrine froide, chacun d'entre eux me tentant plus encore que le précédent, lorsque j'en vis un, plus petit, et plus discret que les autres et qui, pourtant, attira immédiatement mon regard. Il débordait d'une crème au caramel et au chocolat.

   Je réglai en le dévorant déjà des yeux, rêvant à la saveur subtile et simple, si sucrée et salée, contraste parfait d'un si petit gâteau. 

   La terrasse était déjà occupée par quelques personnes, qui bavardaient d'un ton calme, bien différent du bruit de la cohue de la gare, lorsque je m'y installai. Toutes devaient sans doute tuer le temps, comme moi, conscientes qu'elles seraient bientôt enfermées dans un wagon pendant de longues heures. Décidément, cette boutique était placée au bon endroit, chaque personne qui patientait dans la grande gare finissait par entrer dans la boutique bleue, symbole même de la gourmandise.

    Bien installée, je contemplais mon gâteau, faisant reculer l'échéance du premier morceau, mon être tout entier voulant goûter à cette nouvelle saveur, mais, je craignais d'être déçue. Je tremblais presque au contact froid de la cuillère en argent, je ressentais trop de sentiments contradictoires d'un coup. Je fermai les yeux et portai lentement la cuillère à ma bouche, et, à peine eut-elle franchie mes lèvres, qu'une nuée de saveurs m'assaillit, entraînant, avec elle, des souvenirs de mon enfance à Carnac.

    J'étais encore petite, mais cependant je me transformais, lentement mais sûrement déjà, en une presque jeune fille, sans l'être tout à fait encore. Je courais, pieds-nus, sur la plage, avec une ribambelle d'autres enfants. Nous avions, en fond sonore, le bruit des vagues se brisant en écume sur la plage, et celui des mouettes, se chamaillant un bout de pain et hurlant de leurs cris aigus. C'est ce bruit qui revient dans mes rêves les plus intimes. Nous nous amusions, avec cette innocence et cette confiance propres à cet entre-deux âges, empli de liberté et d'insouciance. Les plages étaient recouvertes de cailloux qui nous déchiraient les pieds, sans entamer notre bonheur pour autant. C'était un été comme tous ceux que j'avais déjà vécus, si semblable aux autres années, nous nous amusions tous, ignorants nos conditions sociales respectives, pour que nos après-midis ne soient que joie. Certains, comme moi, venaient là deux mois dans l'année, pour les vacances, louant la même maison tous les ans, comme s'il s'agissait de la leur, et saluant les gens des environs, comme si c'était leurs propres voisins. Ils se souciaient peu de la réputation de touristes que leur accordaient les jaloux. D'autres, au contraire, vivaient là à l'année, dans un appartement délabré, au-dessus d'une misérable boutique que leurs parents tenaient, en se saignant aux quatre veines pour nourrir leurs enfants, qui ne se rendaient même pas compte qu'ils ne mangeaient pas à leur faim, tant leur insouciance était vaste.

Chaque été jusque là, j'avais croisé un regard bleuté et rêveur mais je ne savais rien sur lui. Je n'en savais, d'ailleurs, pas beaucoup plus sur les autres enfants avec lesquels je m'amusais et je n'essayais pas d'en savoir plus. Mais, en grandissant, il faut que le regard change, on trouve quelqu'un à qui on s'attache, et je tombai éperdument amoureuse de ce regard, dont le propriétaire m'était inconnu. Je tombai amoureuse, de cet amour d'enfant, si pur déjà, et pourtant si naïf. Alors, cette année là, je tentai jour après jour de faire sa connaissance et de me rapprocher de lui. Heureusement, j'y parvins et il devint mon ami. Au bout de quelques jours, à force de discussions et de bavardage, je connus son histoire par cœur. Il s'appelait Jean. Il vivait là, avec son père qui tenait une petite boutique de chapeaux, qui marchait assez bien en été, mais, dont les rendements devaient être moins bons en hiver. Il était très autonome, bien plus que la plupart d'entre nous, qui pourtant étions autonomes, car sa mère était morte en couches et son père, resté prostré sur lui même, ne lui avait plus accordé un seul regard, l'obligeant à se débrouiller comme il pouvait. Curieusement, après avoir appris tout cela, je me sentis pleine de tendresse et de compassion pour cet être en manque d'amour, et me mis à l'aimer encore plus. Je le trouvais beau, de cette beauté qui illuminait les yeux des enfants, et, enfant, je l'étais encore au fond de moi.

        Mais, c'est bien connu, toutes les bonnes choses ont une fin, et les vacances aussi. La veille de mon départ, il avait mis toutes ses économies de côté pour m'offrir un gâteau. C'était un tout petit gâteau débordant d'une crème au chocolat et au caramel, c'était un mets de luxe, pour une jeune fille comme moi. Je l'avais dégusté en silence et nous nous étions observés intensément, gravant nos visages dans nos esprits pour l'éternité. On ne peut prévoir le futur, je ne savais donc pas quel sentiment de regret me poursuivrait toute ma vie, le regret de ne pas avoir discuté encore avec lui, en ce dernier jour, de ne pas lui avoir demandé son adresse, de ne pas lui avoir pris la main pour lui faire comprendre...

    Ça y est, j'étais déjà à la moitié de mon gâteau, les souvenirs défilaient toujours, ne semblant vouloir s'arrêter, et je pleurais en silence, troublant la joie qui animait ce lieu à chaque larme que je versais malgré moi.

   L'été d'après, nous n'étions pas retournés à Carnac, mon père avait eu un accident de fiacre qui l’immobilisa totalement dans un fauteuil pour le restant de ces jours, et nous n'avions désormais plus les moyens de nous payer ce genre de luxe. J'avais honte de le dire, mais, lorsque la mort avait cueillit notre père, ça avait presque été un soulagement pour nous. Nous n'aurions plus à supporter, impuissants, ses yeux tristes, seules parties de son corps qui pouvaient encore exprimer sa douleur de ne pouvoir bouger et rire avec nous. Alors, je pus enfin, comme mes aînées, me faire embaucher dans une boutique pour gagner ma vie, à mon tour. Depuis un an, je sentais le contact des étoffes précieuses, que je pliais et emballais, sous mes doigts, sans même essayer de me rendre compte de leurs couleurs. J'avais, enfin, obtenu un congé exceptionnel pour rendre visite à ma vieille mère qui, désormais veuve, était retournée s'installer définitivement à Carnac, comme elle en avait toujours rêvé. Je l'enviais, toute ma vie j'avais voulu retourner là-bas, pour retrouver cette innocence que j'avais perdue après l'accident de mon père et l'amour que je n'avais jamais pu retrouver.

     Mon gâteau était fini, je pleurais toujours, certains passants me dévisageaient avec curiosité, cherchant sans doute la raison de mon chagrin, essayant de la deviner, comme s'ils pouvaient sonder mon esprit en me regardant intensément.

  Légèrement exaspérée, je décidais de retourner dans le hall de la gare consulter de nouveau l'heure. En soupirant, je constatai qu'il s'était écoulé moins d'une demi-heure. Je me retournai, agacée, et mon regard, de nouveau impatient, tomba cette fois sur une paire d'yeux bleus et rêveurs bien connue qui me regardait avec insistance...

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11 octobre 2016

Je voudrais pouvoir voler

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Salut toi... Je contemple mon reflet, dans le miroir en face de moi. Je ne suis toujours pas satisfaite. D'un geste ample, je défait alors la quinzième coiffure élaborée dans la journée et mes cheveux retombent en cascade autour de moi. Je soupire, au fond peut m'importerai la façon dont je suis coiffée si la pression instaurée autour de moi n'était pas si intense. Dans le couloir, j'entends des pas s'approcher furtivement de ma chambre, s'arrêter un instant, un instant suffisant à épier une pièce, puis repartir à une vitesse alarmante.

La tête entre mes mains, je me demande pour la millième fois si je ne fais pas ça pour eux tous plutôt que pour moi. Après tout, c'est bien eux qui me mettent la pression en disant vouloir mon bien, mon bonheur, ma réussite. Ils disent que ma réussite ne dépend que de moi bien sûr. Mais il n'y a qu'eux que ma réussite intéresse, ils misent sur moi depuis longtemps maintenant. Je me décide finalement pour une coiffure assez peu sophistiquée, mais qu'importe cela ne changera sans doute pas grand chose.

Je sors précautionneusement de ma chambre, c'est l'heure du repas. Quand j'arrive dans la salle à manger, tout le monde m'acclame. Cela fait si longtemps que j'ai oublié ce qu'est l'amour d'une famille, depuis qu'ils savent ce que je sais faire d'un peu de peinture, ils ne m'aiment plus, ils préfèrent m'aduler tel une star. Je ne sais pas si j'aurai choisie d'avoir ce don qui représente la solitude dans sa propre famille ou si je l'aurai renié. Mais je n'y peu rien, les couleurs et les formes avaient toujours été une évidence pour moi, et dès que j'ai su tenir en main un crayon, j'ai mise ma passion en pratique. J'étais une petite fille bien solitaire, je m'enfermais dans ma chambre pour faire mes gribouillages, mais malgré tout, lorsque j'ouvrai ma porte, on était prêt à me câliner et à m'aimer. De façon autodidacte, les gribouillages ont fait place à de vrai tableau, plus ou moins évolués, personne ne les avait jamais vu et ce secret faisait plus la beauté des œuvres que la technique qui les composaient. D'un regard indiscret, la magie s'est éteinte, ce « don » a été dévoilé à la famille entière, et depuis je ne suis plus normale. Lorsque ma timidité naturelle m'obligeai à me cacher, on m'a exposée au grand jour, sans se douter de ce qui saignai au fond de ma poitrine. Grâce au « liens » de mon père, ils vont vendre tout mon apprentissage, si je réussi cet entretien. C'est bien pour ça qu'ils ne m'aiment plus, à la simple pensée que leur quotidien pourrai évoluer grâce à moi, ils perdent la tête. Ils ne t'aiment plus que pour ça.

De ma vie, je ne me rappelle qu'une seule personne qui ne voyais pas cette opportunité. Sans doute se savait-elle trop vieille pour avoir la chance d'en profiter un jour. Ma grand-mère ne m'a jamais regardée différemment avant et après. Elle s'est éteinte comme toute chose doit le faire, mais maintenant son absence reste ma seule famille.

Durant le repas, on m'interroge. Quels tableaux vas-tu présenter ? Que vas-tu dire ? Je ne sais pas, moi. Merde l'échéance est demain. Deux mois que je me prépare, l'échéance est demain. Je bredouille des mots peu recherchés, et la famille bouche-bée semble sur le point de me lancer des vivats. Depuis quand suis-je devenue leur idole ? Pourquoi ? Que c'est-il passé pour qu'un jour, je ne sois plus leur fille, leur sœur, que c'est-il passé pour que je soit une star ?

Ma mère s'est surpassée pour me nourrir, mais j'en ai marre de penser à chaque fois que tout ce qu'elle fait, elle le fait par intérêt. Il faut que je sois en forme demain. C'est justement ce prétexte que j'utilise pour m'évader de l'adulation familiale auquel me donne le droit mon titre d'enfant prodige et retourner dans ma chambre. Je passe la porte de ma chambre et soupire en la refermant. Je laisse mes pensées et mes yeux divaguer et je regarde mes affaires, alignées sur des étagères... Quelques livres, cartes postales et autres souvenirs qu'on m'a offert, rien que ce que je n'ai jamais vu. Et des tableaux, des dessins de toutes sortes. Il y a ceux que j'ai peints par plaisir, avec une ardeur indescriptible. Et il y a ceux qu'on m'a forcer à peindre, me promettant qu'ils seraient beau. Leurs couleurs s'affaissaient doucement dans mon esprit, mais je ne savais même pas pourquoi je les achevaient tant ils me dégoûtaient.

Mes yeux parcourent inlassablement les milles couleurs apposées sur ces feuilles quand je me décide à m'allonger. Dans mon lit moelleux, je ferme les yeux, attendant un noir salvateur. Mais, des couleurs parsèment mes paupières, qu'amusée j'observe. Je me perds dans ces couleurs que je n'ai jamais peinte, quand il me revient l'entretiens de demain. Je ne sais quoi faire. Ils veulent que je vende mes tableaux... Ils veulent que je me vende ! Ils veulent qu'on viole d'un regard ma nudité la plus complète !

Mon âme ne peut même pas s'abandonner à pleurer, dans les bruits de la maison, ceux que l'on guette sont ceux de ma chambre. Si mes sanglots retentissaient, un de mes frères accourrai. Aucun de mes frères ne sait qui je suis. Aucun ne s'inquiète de ce que je pense d'eux. Aucun ne s'inquiète de savoir si je peux les aimer. Savent-ils seulement que nous avons les même parents ? Et nos parents savent-ils qu'ils sont censés nous aimer de la même façon ?

Je soupire. J'ai parfois tellement de rancune envers eux... Mais sans doute ne veulent-ils qu'un avenir radieux pour mes frères. Je ne sais que faire. Je me lève, j'ouvre mon armoire. Comment vais-je m'habiller demain ? Je scrute désespérément entre les cintres en quête de quelque chose de correct à porter, mais invariablement, mes yeux reviennent à une petite robe légère et un soupçon démodée... Si belle... Je la retire de mon armoire pour me la sortir de l'esprit, sachant pertinemment que ça ne changera strictement rien à la pulsion qui m'oblige à la regarder.

J'abandonne et retourne à mon lit, effleurant d'un regard la robe qui pend lamentablement au dos d'une chaise, en louant toujours son charme.

Je ne sais pas quoi faire. Il me reste des heures avant de me lever, mais je ne suis même pas couchée. J'ai l'impression de marcher sur un fil, d'un côté, il y a la réussite sociale et une honte de moi-même intense, de l'autre, il y a l'échec de l'entretien, les regards de la famille, mais une épée de Damoclès qui se lève. Seulement, qu'y a-t-il au bout du fil, si l'on ne tombe d'aucun des deux côtés ? Je ne sais... Je me lève et marche encore et encore dans ma chambre où je me sens tenue en laisse. Des pensées amères tournent dans mon esprit, et cette amertume se transforme en une rage de la vie. Une rage fait peser mes pas dans ma chambre, me rappelant de plus en plus son exiguïté. J'arrache les épingles de mes cheveux et je les sens enfin bouger derrière moi au rythme de mon corps. Je souffle, ils sont à leurs place, cela me rassure. Ma rage retombe peu à peu, et je me dis qu'il serai temps de me coucher. J'enlève les vêtements que je porte et je sens mon corps nu trembler. Je m'approche d'un miroir, j'observe ce corps qui m'appartient, je frissonne dans l'auréole dorée et réchauffante de mes cheveux.

L'idée de porter quelque chose m'est d'un coup insupportable. Je veux rester déshabillée. Une pensée singulière me traverse l'esprit : il me semble que ma pudeur se cache dans cette nudité. Doucement, j'ouvre ma fenêtre, l'air frai fait frémir ma peau. Je me penche à la balustrade, j'offre la vision de mon humble corps à quiconque passe... Cela me fait moins mal que le viol de ma raison de vivre, demain au petit matin. Je m'assieds, mes jambes se balancent doucement dans le vide, mes cuisses frotte la pierre rugueuse. Derrière moi la lumière est toujours allumée. Je contemple l'immense vide battue par le vent. Voilà ce qu'il y a au bout du fil. Le vide. L'abandon. La liberté.

Un regard en arrière. Dois-je sauter et courir dans l'horizon ? Je ne veux rien emporter. D'un regard, j'embrasse mon œuvre. Elle ne m'en voudra pas, même si elle est souillée des mains et des regards d'étrangers. C'est elle qui m'a fait être assez forte aujourd'hui pour avoir le courage de partir. Merci. Mon regard quitte les tableaux alignés pour retourner au vide. En un éclair, j'aperçois la robe sur la chaise. Et d'un sourire, j'enjambe la balustrade dans le sens inverse de ce que j'avais prévue et je retourne chercher ma robe. Doucement, presque dans un ralenti féerique, je l'enfile. Ma transformation est parfaite. Cette fois, pas un regard, je passe par-dessus les barreaux et je quitte enfin cette prison.

Je me réceptionne puis me relève dans la liberté. L'air du soir est là pour m’accueillir. Les premières étoiles se lèvent. Elles sont faibles mais elles vont, comme moi, grandir cette nuit, rayonner. L'occasion s'offre enfin à moi de voir toutes les choses qu'on me montrait sur ces cartes postales de mes propres yeux, se seront mes tableaux sur de futures cartes postales !

L'univers me semble trop grand pour être visité en entier, alors je pars. Je donne un coup de talon, mon corps prends vie, accélère, ne fait qu'un avec la vitesse. Il voltige, ne fuit pas, tend les bras à l'avenir. Mes cheveux battent mon dos au rythme effréné de mon corps, tandis que ma robe à fleur des champs embrasse mes formes. J'en voie les couleurs, j'en voie jusqu'aux minuscules touches de mon pinceau... quel beau tableau ferait-il ! Je suis une elfe au fond de moi, et je n'ai plus qu'à m'avancer dans cette obscurité grandissante qui me libère.

 

11 octobre 2016

Ma chère Lina...

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   Ma chère Lina,

   Si tu savais comme la distance qu'il y a entre nous me déchire! Notre mère avait raison et, avant sa mort, nous avait prévenue ; des jumeaux, ancien siamois, qui plus est, ne doivent pas être séparés.

   Depuis mon départ vers la France, la vie n'a pas toujours été rose, hélas!

   Le passeur m'avait promis, tu t'en souviens peut-être, tu étais avec moi ce jour là, qu'au pays de Molière, qu'au pays des croissants, les gens m'acceuilleraient à bras ouverts, que j'aurais du travail et que je mangerais à ma fin tous les jours. Ah! Il s'est bien moqué de nous! Quand je pense que toute ta part d'héritage a servi à payer ce chien!

   Sur son bateau, il faut que je te raconte ça avant tout le reste, sur son bateau c'était horrible! Nous étions au moins cent. Te rappelles-tu ce tableau que nous avions vu sur le site du Louvre, au cyber-café? Le radeau de la Méduse...

   Nos conditions étaient pires encore.

   À un moment, j'ai vu deux gamins, des jumeaux, comme nous, ma Lina. Je les regardai, souriant presque malgré moi, je les imaginais, heureux, français, comme nous aurions pu l'être si nous étions passés de l'autre coté il y a une quinzaine d'années. Pendant que je les regardais, la petite fille s'est brusquement tournée vers la mer, mais, plus brusquement encore, une vague s'est abattue sur nous. Le bateau s'est secoué, la petite fille est tombée. Je, nous, la fixions tous, mais ses yeux à elle, ses yeux plein de terreur, étaient plantés dans ceux de son frère. Ils se sont fermés juste avant qu'elle ne s'éteigne.

   Le petit garçon, lui, regardait encore et toujours la dépouille bercée par les flots agités. Puis, après qu'une vague, l'ai fait échapper à nos yeux, il se rendit compte de ce qui était arrivé... Il s'est jeté à l'eau sans un regard en arrière, mais il s'est noyé avant de l'avoir rejoint et le spectacle de cette innocence a remplacé celle de sa soeur pendant de longues minutes.

   C'est en t'écrivant cette lettre, ma Lina, que je me rends compte que je ne sais rien de leurs parents.

   Le regard de ses enfants à l'agonie me donne des cauchemars, cependant, je sens, je sais, que j'aurai fait la même chose si j'avais du vivre dans un monde où tu n'existai plus...

   La France n'est pas tout à fait comme on nous l'avait dit... Les grandes villes croulent de SDF, les chômeurs sont partout...

Je mange sans doute mieux que chez nous, mais j'ai encore faim.J'ai voulue demander un emploi, mais je parle mal français.J'ai voulue demander un abri, je me suis retrouvé embarqué dans un train qui m'a emmené dans un bâtiment désaffecté avec tant d'autre comme moi...

    Ah! Ils me font bien rire ces français avec leur droit d'asile politique! En attendant, moi, je ne suis rien. Un homme de même pas 30 ans, qui parle mal français, snobé par les plus pauvres que pauvres français, hélas!

   Pour l'instant, je vagabonde d'un abri public à l'autre, bénéficiant, ou pas, d'une maigre hospitalité, mais bientôt, j'essayrai de m'installer quelque part ou le reste de l'héritage de Maman me suffira. Si j'y arrive, je t'enverrai une lettre de là-bas.

   Embrasse ta fille pour moi, mes sympathies à ton mari, je vais essayer pour te faire plaisir de trouver, moi aussi, le grand amour.

   Je t'aime où que je sois ma Lina.

   Eric.

10 juillet 2016

L'étourdissement de cet azheimer

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J'entends un mot qui passe et qui repasse dans ma mémoire, gentiment je l'entends me souffler quelque chose à l'oreille mais je ne comprends pas, il ne parle pas assez fort pour moi. Il exagère ce mot coquin, il sait bien que je suis vieille, non ? Il sait bien qu'il faut me parler fort. Mais il m'amuse avec sa candeur d'enfant, ce mot tout jeune qui murmure à mon oreille d'un ton malicieux. Il m'amuse tout comme ces gens inconnus, devant moi : ils me regardent, me sourient, attendent quelques choses. Ils semblent me connaître, mais pas moi. Alors, comme ils m'amusent et qu'ils me sourient, je sourie à mon tour. Je sourie gentiment, d'un air compréhensif. J'ai toujours été compréhensive. Un enfant passe dans mon chant de vision, il saute, il hurle, mais lui non plus je ne le comprends pas, malgré la force de son cri. Mais lui, il ne m'amuse pas, mais alors pas du tout. Il me casse les oreilles m'agresse, m'agresse de ce son inconnu, d'une voix d'enfant criarde. Il me fait mal, je mets la main sur mes oreilles en attendant que quelqu'un fasse quelque chose. On me regarde d'un air inquiet, on ne comprend pas. Mais c'est fort, c'est trop fort pour moi. J'ai envie de pleurer au milieu des regards inquiets de ces inconnus. Je pleure, je n'aime pas pas comprendre. Je préfère passer outre. J'étais intelligente, avant. Je comprenais tout mieux que tout le monde, jeune, j'aurais pus faire de la politique. Mais ma mémoire s'est barré un beau jour, en plein vol, comme ça, sans que je ne puisse rien y faire, et depuis, je souffre en silence. Je ne comprends plus les mots, j'ai l'impression qu'on m'a catapultée dans un pays étranger. Tous ces sons ne veulent plus rien dire. J'en suis totalement désabusée. Je ne sais plus qui je suis dans ce corps déjà vieux, je le regarde, le contemple, contemple ces vieilles mains fripées qui m'appartiennent, je pense. Un regard autour de moi. On attend quelque chose de moi... Mais qui sont ces gens que me veulent-ils. On s'interroge du regard. Quelqu'un prend la parole. Je me force, je me concentre quelques secondes, j'écoute. Mais je ne comprends pas les premiers sons, alors je décroche mon regard divague sur ces gens : ils sont nombreux ? Quelle langue parlent-ils ? Et moi ? Moi ? Je parle la langue secrète de mon esprit. De toute manière je ne leur dirai pas un mot. Ils ne me comprendraient pas, quel dommage. Et puis quelle idée de se mettre à nue devant tous ces gens ! Jamais de ma vie ! Ne suis-je pas déjà si vieille ? Quel âge ais-je ? Je regarde ces mains fripées, qui semblent être à moi. Es-ce que la réponse se trouve dedans ? Je ne pense pas, je les regarde et ne trouve rien qui me le dise. Allons bon ! L'âge ne se trouve pas dans les mains, enfin je crois. Je suis vieille, ne voilà pas un bon indice ? Je suis vieille, cela veut dire que je ne tarderai pas à mourir, quelle satisfaction ! Mourir est une douce dépendance, à cette idée je sourie de nouveau calmé. Prend donc avec bonhomie ces personnes, puisque bientôt c'est fini ! Personne ne parle. Quelqu'un souffle très fort, puis dit quelque chose, alors les gens bougent ils s'assoient sur une chaise, autour d'une table. Je sens que je bouge toute seule, quand en un émerveillement enfantin, je constate être sur un fauteuil roulant. Ce que cette journée est drôle ! Devant mon assiette, tout est déjà coupé et une main monte la nourriture à ma bouche. Je la contemple, ce geste m'hypnotiserai ! Wouaw ! Quelqu'un devant moi ouvre exagérément la bouche, qu'il est drôle ! J'ai l'impression d'être au spectacle, cela m'amuse, cela m'amuse ! On introduit cette nourriture dans ma bouche, mais, je ne sais qu'en faire. Qu'à cela ne tienne, ils resteront dans ma bouche tant pis ! Ça fait une drôle d'impression dans la bouche... que c'est bizarre, c'est agréablement surprenant ! Oh, ce n'est pas une journée comme les autres, ça non ! On m'observe toujours, on guette mes réactions, mais je ne bouge plus. Je suis vraiment conquise du charme de cette tablée. Les gens qui soufflent se lèvent un à un et lentement la table se vide. On me laisse seule ? C'est le plus fort ! On comprendrai donc que j'ai envie de bien terminer cette journée ? Tous ces gens inconnus m'amusent ! Ils sont vraiment charmant de bien vouloir me laisser décider de la fin de cette journée ! Alors je tends mon bras, et j'attrape l'objet qui m'intéresse. Je le retourne vers moi, en pensant encore un merci. La lame du couteau à viande traverse mon torse, et je me rappelle alors que la sensation dans ma bouche, c'est un goût. C'était peut-être lui ce mot à mon oreille...

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