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11 octobre 2016

Ma chère Lina...

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   Ma chère Lina,

   Si tu savais comme la distance qu'il y a entre nous me déchire! Notre mère avait raison et, avant sa mort, nous avait prévenue ; des jumeaux, ancien siamois, qui plus est, ne doivent pas être séparés.

   Depuis mon départ vers la France, la vie n'a pas toujours été rose, hélas!

   Le passeur m'avait promis, tu t'en souviens peut-être, tu étais avec moi ce jour là, qu'au pays de Molière, qu'au pays des croissants, les gens m'acceuilleraient à bras ouverts, que j'aurais du travail et que je mangerais à ma fin tous les jours. Ah! Il s'est bien moqué de nous! Quand je pense que toute ta part d'héritage a servi à payer ce chien!

   Sur son bateau, il faut que je te raconte ça avant tout le reste, sur son bateau c'était horrible! Nous étions au moins cent. Te rappelles-tu ce tableau que nous avions vu sur le site du Louvre, au cyber-café? Le radeau de la Méduse...

   Nos conditions étaient pires encore.

   À un moment, j'ai vu deux gamins, des jumeaux, comme nous, ma Lina. Je les regardai, souriant presque malgré moi, je les imaginais, heureux, français, comme nous aurions pu l'être si nous étions passés de l'autre coté il y a une quinzaine d'années. Pendant que je les regardais, la petite fille s'est brusquement tournée vers la mer, mais, plus brusquement encore, une vague s'est abattue sur nous. Le bateau s'est secoué, la petite fille est tombée. Je, nous, la fixions tous, mais ses yeux à elle, ses yeux plein de terreur, étaient plantés dans ceux de son frère. Ils se sont fermés juste avant qu'elle ne s'éteigne.

   Le petit garçon, lui, regardait encore et toujours la dépouille bercée par les flots agités. Puis, après qu'une vague, l'ai fait échapper à nos yeux, il se rendit compte de ce qui était arrivé... Il s'est jeté à l'eau sans un regard en arrière, mais il s'est noyé avant de l'avoir rejoint et le spectacle de cette innocence a remplacé celle de sa soeur pendant de longues minutes.

   C'est en t'écrivant cette lettre, ma Lina, que je me rends compte que je ne sais rien de leurs parents.

   Le regard de ses enfants à l'agonie me donne des cauchemars, cependant, je sens, je sais, que j'aurai fait la même chose si j'avais du vivre dans un monde où tu n'existai plus...

   La France n'est pas tout à fait comme on nous l'avait dit... Les grandes villes croulent de SDF, les chômeurs sont partout...

Je mange sans doute mieux que chez nous, mais j'ai encore faim.J'ai voulue demander un emploi, mais je parle mal français.J'ai voulue demander un abri, je me suis retrouvé embarqué dans un train qui m'a emmené dans un bâtiment désaffecté avec tant d'autre comme moi...

    Ah! Ils me font bien rire ces français avec leur droit d'asile politique! En attendant, moi, je ne suis rien. Un homme de même pas 30 ans, qui parle mal français, snobé par les plus pauvres que pauvres français, hélas!

   Pour l'instant, je vagabonde d'un abri public à l'autre, bénéficiant, ou pas, d'une maigre hospitalité, mais bientôt, j'essayrai de m'installer quelque part ou le reste de l'héritage de Maman me suffira. Si j'y arrive, je t'enverrai une lettre de là-bas.

   Embrasse ta fille pour moi, mes sympathies à ton mari, je vais essayer pour te faire plaisir de trouver, moi aussi, le grand amour.

   Je t'aime où que je sois ma Lina.

   Eric.

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